àA Charlotte

 

 

 

 

 

 

 

Avant-propos

 

Dès l’instant où nous naissons, la mort ouvre son manteau.  Elle nous attend à l’heure qui sera la nôtre. Depuis la nuit des temps cette question interroge, tourmente et quelquefois déclenche chez les hommes toutes sortes d’étranges manifestations  et comportements...

 

Certaines légendes disent que des êtres ont vaincu la mort. Ils en ont fait une alliée sans précédent.

 

Cette histoire nous conte cet étrange chemin...

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

Il était une fois, ici et maintenant, dans un village sans histoire. Où rien, à part les habitudes ancestrales de ses habitants, ne se passe.

 

 

Tout se déroule chronométré, au rythme des saisons, du temps qui passe, avec tous les rouages plus ou moins graissés de la vie automatique. On y devine presque tout comme une vieille bande qui se répèterait mille et une fois et pourtant...

 

 

 

I

 

Raphaëlla est  en vacances pour préparer sa thèse de doctorat en psychologie qu’elle devra rendre à la rentrée et lui ouvrira les portes du monde du travail.   Elle a profité à l’occasion de cette maison prêtée par une amie : son isolement, son confort la rendent idéale.

 

C’est un être de terre qui sent les valeurs bâties sur l’expérience, l’honnêteté, le travail bien gagné.

 

Dans ses yeux bleus et profonds, malgré son jeune âge, on devine :  la souffrance a déjà tracé son sillon.

 

Les relations, les  expériences sont utiles.  Elles permettent d’ouvrir, d’approfondir sa propre compréhension.

 

C’est sa façon de croire au devenir, de le rendre accessible,  à portée de main.

 

Sa thèse est un comparatif entre la psychologie moderne et les idées d’un curieux homme qui signe ses livres du nom de Don Gabriello.  Ces livres ?  Des récits initiatiques basés sur l’étude, l’expérimentation de la sorcellerie des anciens sorciers Toltèques du Mexique.

 

Ces aventures d’hommes hors du commun l’ont passionnée. Étayées sur des histoires vécues, expérimentées, expliquées avec une habileté  souple qui  fait toucher l’authenticité…l’irréfutable.

 

Écho à son intuition, sans aucun  mot, elle a flairé dans cette œuvre les premières réponses à  ses questions. Elle  souhaite   approfondir chaque aspect.

 

Raphaëlla se souvient.  Toutes ces années,  passées sur les bancs de la fac.

 

Les événements… les rencontres…  les difficultés de la vie… sa décision d’apprendre  ce métier…

 

C’est  sa façon de répondre, de participer au grand jeu.

 

Son maître de stage est son miroir. Elle attend impatiemment chacune de ses interventions. Elles lui  donnent une perception élargie de quelque chose qu’elle ne sait pas mettre en mots. 

 

Ses discours sont là… dans sa mémoire !

 

« Nous vivons une époque où les questions deviennent brûlantes face à l’absurdité du monde actuel. Mais, la plupart du temps, ces questions sont comme les événements de la vie. Ils sont récupérés par les publicitaires et autres détenteurs de pouvoir médiatique. Sur l’image difficile et oppressante qu’elles évoquent, on en colle une plus flamboyante,   généreuse,  pour noyer le poisson :  la flatterie des discours de tous bords…  des religieux et gourous, politiciens, tous les modèles, toutes les dimensions. Machinerie formidablement graissée, l’être fini par s’endormir et dire dans un dernier râle : c’est la vie...

Et puis... Un jour... on est mort.

Que serait une vraie question ? 

Une question qui fait mal, creuse en dedans,  porte dans son énergie la substance même de sa réponse… 

Ce qui forge un chercheur n’est pas forcement le fait de chercher, d’appartenir à une religion, enseignement ésotérique, de se mouler aux influences mystiques. C’est un bain d’influences diverses, contradictoires et le fait qu’il le découvre malgré lui. Il n’est rien de pire que la ferveur religieuse où les adeptes ne font en réalité que consommer le jus fiévreux qu’ils  pressent et  s’empressent de faire gicler autour d’eux. Les événements de la vie sont comme les pages d’un livre que l’on tourne une à une. Des carrefours se présentent indiquant  l’étape suivante. Pendant très longtemps, nous ne sommes que les acteurs désincarnés de cette route sinueuse. Nous aurions aimé, nous aurions dû... mais le seul chemin que nous pouvions prendre, a été parcouru bon gré, mal gré. Nous ne savons pas que les paramètres qui déterminent notre existence dépendent en partie de notre énergie et de la place, du centre de gravité qu’elle occupe en nous.

 

Nous ne savons pas que nous ne sommes pas libres, mais esclaves de nos fonctions internes.

Nous répétons inlassablement les mêmes erreurs qui nous renvoient le même décor ou presque.

Longtemps, beaucoup de souffrances, pour que se pose la bonne question, celle où ça fait mal, celle où le regard ne peut se dérober.

La question qui mettra en route le monde intérieur :  Sa con-naissance…

A chaque instant, la vie de la terre nous rattrape. Les événements nous font sentir nos pieds et les marches qu’ils trébuchent involontairement.

Pendant longtemps nous n’avons rien pour en comprendre les mécanismes subtils : pas de regard pour transformer la souffrance. Victime d’un monde qui glorifie l’émotion, le raisonnement à bon marché, nous nous enfonçons de jour en jour dans les louanges de l’apitoiement sur soi, de l’orgueil, la possession, la soumission à tous les diables de l’époque et prenons cela pour les vertus de référence en finissant par hurler à la face de nos semblables :  Moi-je… Moi-je… 

Ce que nous appelons  amour  n’est  que la complaisance de nos manques affectifs ?

Sommes-nous capables d’avoir un frère, une sœur, quelqu’un pour qui on donnerait sa vie? Au moment où nous avons le plus besoin d’énergie, au temps de la jeunesse, manque l’expérience. Il  faudra en décorer des prisons pour un jour voir les barreaux, sentir le vent, la beauté de cette liberté sans mots, ni décor.

Quel est ce lien qui unit ou désunit, rassemble ou sépare, le dedans, le dehors de ce que nous sommes ? La relation avec l’autre dépend de la qualité et profondeur de la relation avec nous-même ?

On pourrait poser cet axiome comme une règle de trois ? Se demander de façon sensitive à chacune de nos rencontres,  Qui et avec quelle énergie et place, je suis en cet instant dans cette relation ?

Comment dois-je comprendre ? Vivre l’expérience dans l’instant ?

Faire de ce monde relationnel l’outil indispensable de la connaissance de soi.  Ne pas tomber dans le piège de l’ego qui sans cesse,  par peur et habitude, cherche à tout figer en la haute image que nous avons de nous-même, en nous isolant dans la passivité existentielle.

 

Bien sûr, c’est facile à dire. On sait ce que l’on laisse, on ne sait pas ce que l’on va trouver.

 

Alors on reste  le cul entre deux chaises… »

 

 

  

II

 

  A chacun de ses cours, les paroles de cet homme résonnent comme la voix d’un prêcheur sans église, né d’une expérience, d’une analyse sans concession pour lui-même.

 

  Il  semble qu’avec de grands efforts et une connaissance approfondie en la matière, elle aussi pourrait percer les mystères du psychisme, du comportement humain.

  Elle travaille d'arrache pied pour décrocher les diplômes qui lui permettront d'exercer sa profession de foi.

   

  Les mois, les semaines, le travail qui passionne …  pourtant un jour…    comme les autres... 

 

  Son « cher professeur » explique brillamment  le rôle de la sexualité dans le comportement humain…

 

  Raphaëlla prend des notes…

 

  La voisine se lève :

 

  C’est très intéressant... très intéressant …vous nous aidez à comprendre des tas de choses.

 

  Mais ça manque d’exemples,  de faits, de réalités pratiques…de chaleur…

 

  …et ressemble à des théories de mecs mal-baisés.

  Les femmes sont des poupées gonflables qui justifient vos belles théories dont vous tracez les théorèmes infaillibles..? 

J’ai une idée géniale ?  On va se taper une chouette partie de jambes en l’air tous en chœur …

Je suis certaine… on va prendre un super pied … oublier ce cours ennuyeux où tout le monde ronfle »

 

 

Stupéfaction de tous. Elle s'assieds.. Regarde Raphaêlla... Un sourire  malicieux... profond... elles éclatent de rire... contagion... La classe entière suit le mouvement...

Les élèves applaudissent! des gosses qui ont lâché la pression des enseignants et moralisateurs et ennuyeux!

Elle grimpe sur le bureau :

 

« Nous allons partager quelque chose de la plus haute importance pour votre vie future. Qui fera peut-être de votre  sexualité un paradis à deux vitesses !

 

Je vais vous enseigner… comment faire une magnifique tarte aux pommes ! »

 

Le cours ? …Dans une ambiance délirante alors que le professeur a filé à l’Anglaise depuis longtemps.

 

Raphaëlla attrape l’originale voisine :

 

« Qui êtes-vous ? On pourra se revoir ? »

 

Un livre de son cartable, elle lui glisse dans les mains :

 

« Bonne médecine ? A bientôt ! »

 

A peine Raphaëlla a-t-elle regardé le titre du livre…  l’étrange  jeune fille avait disparu.

 

Et…  Tout s’est déroulé naturellement, sans entrave,  en complicité…  orchestrée par cette énigmatique personne.

 

Dans les jours qui suivent Raphaëlla dévore le livre ainsi que d’autres du même auteur : un énigmatique sorcier qui  l’interroge dans tous les recoins de son être en posant les vraies questions.

 

Elle prend la décision.  Se servir des écrits de cet homme comme sujet de sa thèse de doctorat.  Comparer une pensée pratique et le monde des  théoriciens…

 

 III

 

Don Gabriello est une légende vivante. On ne sait rien de lui autrement que dans les livres. Personne ne l’a vu. Certains pensent qu’il n’a jamais existé ? Que sur le papier !

 

Étonnement et admiration de Raphaëlla,  cette force intérieure de relier le pratique et le mystérieux, la pire des tragédies et un humour décapant, les idées reçues balayées en un tour de main et le détachement inconditionnel qui le place hors des sentiers battus… 

La part de mystère qu’il laisse en chacun de nous devient palpable, presque visible ! 

 

Ce sorcier  est passé par les pires souffrances, non seulement semble en être détaché…  plus encore,  fait de celles-ci, de la découverte des processus qui en sont les fondements, une pierre d’angle pour déplacer les montagnes, ouvrir les portes de l’invisible…  jusqu'à le toucher… 

Elle ne peut se l’expliquer, quelque part elle sent au fond d’elle : Ok ! Faut aller voir   soi-même ?

La plus essentielle de ses questions   est arrivée sans aucune raison évidente. Un fait intérieur des plus étranges   orienta sa recherche dans cette direction.

 

Elle  dormait…  état entre le sommeil et l’éveil. Un rêve très étrange a pris consistance, forme, est devenu palpable, réel,  une autre dimension de la réalité.

Elle a vu l’homme étrange au regard doux, fulgurant  entre elle et la mort…  rouge comme le sang.

 

Cet homme riait aux éclats, invincible ni par  force ou  raison mais par cette lumière qui ne se voit pas avec les yeux.

 

Elle a senti, vu au fond de son cœur, un chant d’amour sans contraire ni jugement qui abolit et efface toutes les blessures de toutes les vies...

 

Puis, peu à peu,  est revenue à notre réalité... à cette pensée  :  bientôt ! 

 

Aujourd’hui, bien que ce fait mystérieux ne soit plus qu’un souvenir, elle a la conviction profonde. Un éveil, une autre façon de vivre, de répondre à tous les aspects de l’existence sont possibles.  Juste après ce fait étrange, le hasard l’a mise sur la piste de Don Gabriello. Elle est intimement persuadée : il est le lien entre ce rêve et  cet homme.

 

Raphaëlla travaille  ce texte.  Le sorcier dit  le conscient n’est que le résultat des influences extérieures multiples mêlées aux tendances héréditaires du caractère. Le vrai conscient de l’homme est ce que les psy appellent l’inconscient.  Elle compare  aux analyses de Lacan qui semblent s’y rapporter. Son interrogation à propos du même sujet est mise en question … le goût si différent de ces deux points de vue : goût du vécu en balance avec celui de l’intellectualisme. Surtout  le sorcier raconte plus loin que ceux de sa lignée avaient donné à l’absolu, le divin, le nom de l’Aigle mais que lui n’aimait pas car il fait… des grosses crottes...  Ces phrases pleines d’humour le rendent sympathique en face de tous les discours sérieux, ennuyants. Plus loin en, il rajoute que le sérieux est de faire les choses avec l’esprit de celui qui n’a pas un souci au monde,  que la morbidité de la pensée est un trop lourd tribut à l’existence. Les gens sont identifiés aux objets, aux concepts, à toute la socialisation qui en découle, en réalité, tout n’est qu’énergie.  Il faut trouver, traquer sans cesse la place de celle ci, rajoute-il.

 

Raphaëlla est pensive,  en attente d’une réponse…

 Deux timides toc-toc   la réveillent ! Elle ouvre sa porte.

 

« Bonjour, nous sommes vos voisines. Nous sommes arrivées hier soir, je m’appelle Syrah.  Voici mon amie Célina Marie, mais on dit « CM », c’est mieux, c’est made in USA ! Nous sommes en vacances pour plusieurs jours avec notre Oncle. »

 

« Entrez donc ! Venez prendre une boisson »  Raphaëlla à ces deux jeunes demoiselles  d’origine orientale. Après les amabilités d’usage, les jeunes femmes sympathisent, parlent de choses et d’autres, chacune se racontant  elle-même. Elles finissent par avouer que l’oncle n’est pas leur oncle  mais un homme qui s’est occupé d’elles,  les aime beaucoup même si par moments, il les traite de paresseuses, de vers solitaires.

 

Il dit  tendrement qu’il ne peut rien faire que les accepter.   Le grand esprit  les a apportées. Elles ne comprennent pas toujours ce qu’il veut, ce qu’il fait :   ça n’a pas d’importance : c’est pour plus tard, dit-il souvent.  Elles se sont habituées à son  originale  façon de faire. Cet  homme tient toujours parole le moment venu.

 

« Mais que fait votre oncle ? »  Raphaëlla, très intriguée.

 

CM : « Plein de choses différentes, depuis le travail manuel, la musique, l’informatique. Il écrit des livres, les envoie à son éditeur par le net. »

 

Raphaëlla : « Quel genre de livre ? »

 

Syrah : « On ne sait pas… un mot de passe… on ne peut  accéder  »

 

Cm :  «Il vend bien ! Il reçoit souvent du fric de son éditeur ! »

 

Syrah :  « Il dit que c’est pour le bien de ceux qui en ont marre d’être cons... et  se met à rire comme un simplet... »

 

Cm : « Il est un peu fou… il s’en fout … tout le monde est fou sans le savoir.  Il a appris à en rire… à s’en servir... »

 

Raphaëlla devine :  ces mots,  cette façon d’être ressemble étrangement aux écrits de Don  Gabriello !

 

« Comment s’appelle-t-il ? »

 

Syrah : « Antoine de Cinq Exaspéré quand on lui prend le chou ! »

 

Cm : « Antonio … »

 

Toutes les deux se mettent à glousser de rire telles deux folles hystériques...

 

« Il va venir vous parler »

 

« Il a quelque chose de très important à vous dire !  »

 

« Bye... »

 

  

IV

 

Deux maisons  en bordure du village, côte à côte. De temps en temps les filles sortent, font des grands coucous de la main.  Raphaëlla  leur renvoie aussitôt. Les jours passent chauds, lourds. Le soir, la fraîcheur  apaise. Le corps respire...

 

Raphaëlla est levée très tôt pour travailler. Du pas de sa porte, elle aperçoit l’oncle.  Tranquillement il déguste un café et lui adresse  un signe amical de la main et le rouge magnifique du soleil levant…de son regard souriant.

 

  

Silencieuse,  glissant sur la route, une voiture  lentement, très lentement,  ralentit, s’arrête…  à hauteur de Raphaëlla.

 

Qui  vient  de si bonne heure ? 

 

L’homme descend.  L’oncle    silencieux. Les deux hommes  face à face, échangent quelques mots, se regardent longuement.  L’étranger monte dans la voiture,  engloutit  Raphaëlla de son regard déroutant.  Et disparaît aussi mystérieusement…

En un  bond, l’Oncle attrape la main de la jeune femme, piégée au monde impersonnel de l’inconnu.

 

« Il est venu  t’enlever ta tristesse ? Comme toi… il ne sait pas comment? »

 

« Vous me racontez quoi ? Je ne comprends rien ? »

 

« C’est le défieur de la mort, il est pris à son  piège, tu es la porte de… sa liberté ? »

 

Raphaëlla   pense que les petites ont raison, l’oncle est  fou.

 

« Je ne suis pas fou  et toi non plus ! »

 

…Il a deviné ses pensées.

 

« Tu sais de quoi je parle ? Ni dans les mots, ni dans ta tête, ni dans ton cœur mais dans cet autre chose ? Il t’échappe toujours et il est si inconsistant que tu n’y as jamais cru...  »

 

Des minutes…des secondes…

 

Les larmes sur ses joues, Raphaëlla rapporte la cafetière brûlante.

 

« Je vous sers, Monsieur ? »

 

« Bonne réponse, ma fille ! Avec un nuage de confiture, plus un morceau de lait... et une cuillère. Tu auras  toutes les réponses que tu souhaites. Sois patiente. Écoute simplement…

 

Les  tchounes sont  mes filles, elles m’apprennent à aimer, à m’aimer les aimant.  Tu es jeune, tu crois,   tu rêves, tu refais le monde.   Bien souvent j’ai envie de les piller en morceaux alors je me rappelle.  Je suis pire qu’elles !  Grande est la souffrance des hommes. Je fais tout pour redresser ce qui est de travers  même si j’en souffre, je m’en fous. Elles m’aident sans le savoir ? Sortir de cette imagination délirante qui nous fait croire que l’amour c’est comme à la télé.  Ne  pas confondre masturbation émotionnelle, séance de titillation mutuelle avec donner de tout son être un réel moment d’attention pour son semblable tel qu’il est,  tel que je suis aussi ?    Nullité qui se prend pour la carte du monde ? 

Allez !  Rien de triste à attraper un bout d’espérance ! Seulement  se rendre compte qu’il y a du pain sur  la planche …

Soit très attentive... tu va en avoir besoin... bye... »